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Sur RateOne édition 11

Laurence construit des modèles d’appareils qu’elle a pilotés dans une vie antérieure

Pendant cinquante ans, Laurence Adriaensens a vécu dans l’ombre de son alter ego masculin : un pilote de chasse de la Force aérienne belge. Elle n’apparaissait que dans l’anonymat de la vie privée, bien cachée pour le milieu macho de la force aérienne. Un accident aérien en 2000 l’a incitée à ne plus longtemps étouffer et cacher sa vraie personne. Brusquement, elle a pris la décision drastique de continuer à vivre en tant que Laurence.  Tout a changé, sauf la passion du vol.

Laurence Adriaensens

Dans un appartement moderne à Hasselt, une coquette dame d’un certain âge (69) ouvre la porte. J’entre tout de suite dans la vie de Laurence, au milieu de modèles réduits d’avions. Elle m’attend pour me parler de sa carrière de pilote et de sa nouvelle vie.

Différent des autres

« Enfant, j’étais un garçon délicat et timide, toujours le plus petit de la classe. Je me sentais différente et je restais souvent à l’écart et pour cela je n’étais évidemment pas populaire chez les autres enfants. Dans mon adolescence, quand les autres garçons couraient après les filles, j’ai découvert la passion du vol. Pour mes 12 ans, mon père m’a fait cadeau d’un modèle réduit de vol circulaire en plastique, ce qui a signifié le début de mon intérêt infini pour l’aéromodélisme. À 15 ans, j’ai été admise comme Cadet de l’Air de Belgique où j’ai appris à faire du vol à voile. Dans cette période, j’ai aussi volé à bord du Grunau Baby, déjà antique à cette époque-là et actuellement suspendu dans le Musée de l’aviation à Bruxelles.

 

Grunau Baby

Lorsqu’en 1967, comme cadet de l’air, j’ai eu l’occasion de participer à un vol à bord d’un Stampe SV4, je me suis rendue compte du chemin que je voulais suivre : devenir pilote. Ma mère se méfiait du fait que son enfant unique passerait sa vie haut dans le ciel, mais mon père était d’accord. Lui aussi a rêvé un jour de devenir pilote, mais la guerre révolue avait contrecarré ses ambitions. Il me voyait comme commandant de bord à la Sabena, mais je ne voulais pas devenir chauffeur d’autobus. Comme je préférais le vrai vol, vous savez, stick and throttle, loopings…, j’ai choisi pilote de chasse. En 1970, diplômée en économie et mathématiques, j’ai participé aux sélections pour pilote au cadre auxiliaire de la Force aérienne. »

My American Dream

« Une fois achevé l’entraînement de base à Gossoncourt sur Marchetti SF260, appareil flambant neuf à ce moment-là, et après une dizaine d’heures sur Fouga à Brustem, j’ai traversé l’océan à bord d’un DC-6, accompagnée de sept autres élèves-pilotes belges. Arrivés aux États-Unis, nous avons été dispersés et ainsi je suis arrivée à la base Vance AFB (Oklahoma). La formation en Amérique ne m’a pas seulement offert la possibilité de réaliser mon rêve professionnel, mais ce séjour de l’autre côté du monde m’a aussi donné l’occasion d’habiter seule pour la première fois de ma vie et de me ressourcer. Je me suis laissé l’espace pour découvrir mon côté féminin pendant mon temps libre. Peu à peu, j’ai commencé à acheter des éléments vestimentaires plus féminins que je portais en look androgyne non seulement pendant mes temps libres, mais aussi en public. Comparés aux chemises raides et aux chaussures d’homme, ceux-ci me donnaient simplement un sentiment plus agréable. Non, cela n’avait rien à voir avec l’excitation. »

Vance AFB

A man’s gotta do what a man’s gotta do

« En 1972, une fois breveté T-38, je suis retournée en Belgique et j’ai été sélectionnée pour la formation de chasseur-bombardier sur F-104 Starfighter à Kleine-Brogel, fait unique parce qu’avant, cette chance n’échoyait qu’à des pilotes qui avaient déjà beaucoup d’expérience sur d’autres types. En 1978, j’ai eu le privilège de voler pendant trois mois à bord de mon Starfighter personnel lors de la préparation du Tactical Air Meet, un événement de renommée internationale

Starfighter

En 1982, faisant partie des premières levées, j’y ai fait ma conversion sur F16. Finalement, je suis restée au 10e Wing pendant vingt ans (interrompus par une période de trois ans à Ramstein en Allemagne).

Je passais mes week-ends chez mes parents dans la région bruxelloise, mais pendant la semaine, je vivais seule au Limbourg où je pouvais abandonner la vie macho et libérer mon ego féminin. Mes armoires se remplissaient d’une collection de quelque deux cent paires de chaussures de femme. À la maison, je portais occasionnellement une jupe et des talons, mais je ne me transformais jamais en travesti. Je combinais simplement mon moi masculin et mon ego féminin et plus tard, je sortais aussi souvent le chien la nuit, portant des chaussures de femme, le plus souvent, chaussures à semelles compensées parce que celles-ci se faisaient le moins remarquer sous un pantalon. Tant ma première que plus tard ma deuxième femme étaient déjà avant le mariage au courant de ma prédilection pour les attributs féminins, mais cela ne posait pas vraiment de problèmes pour elles. Pour dormir, je portais presque toujours une chemise de nuit. Avec ma première femme, j’ai fondé une famille d’où est née une fille magnifique.

Pendant toute ma carrière de pilote militaire, j’ai continué à garder les apparences, même si cela était difficile. Aucune de mes deux épouses ne l’a jamais raconté à personne et je leur en suis très reconnaissante. Si l’on avait découvert cela, j’aurais pu faire une croix sur ma carrière militaire. En effet, j’avais le degré de sécurité le plus élevé à la Défense et par cette double vie, on devient sujet au chantage. J’ai rempli différentes fonctions tant en Belgique qu’à l’étranger : officier Wing Ops, Wing Electronic Warfare Officer, Chief Intelligence and Mission Planning, HQ AAFCE attack ops et Taceval evaluator… Pilote de transport au 15e Wing, j’ai piloté, à bord du Swearingen Merlin, nombreux ministres et membres de la famille royale vers différents pays. Pendant la guerre de Yougoslavie, j’ai été HQ TACP G3Air à Zagreb pour les Nations Unies et après ma retraite, j’ai même encore été réincorporée pour diriger depuis le CAOC de l’OTAN à Vicenza (Italie du Nord) les opérations aériennes au-dessus de Kosovo pour le compte des forces aériennes tant belges que néerlandaises.

Toutes ces fonctions m’ont permis de piloter des appareils dont les autres ne pouvaient que rêver : Hawker Hunter, General Dynamics F-111, PanAvia Tornado, BAC Harrier, McDonnel Phantom, Sepecat Jaguar, F-100 Super Sabre, F-18 Hornet, Mirage et encore d’autres. J’ai aussi fait souvent de la voltige aérienne à bord d’un Fouga Magister et j’ai occupé presque toutes les positions (inclusivement leader et solo) dans différentes patrouilles sur Fouga. À partir de 1975, j’ai amassé aussi des licences civiles (brevet Belge de pilote professionnel et moniteur de pilotage, brevet américain de pilote de ligne multimoteur). Pendant mon temps libre, j’étais instructeur à Kiewit et à Sanicole et pilote en chef sur Twin-Otter au Para Centrum Limburg. Pendant des années, j’ai été particulièrement active dans le monde des spectacles aériens, tant comme militaire que comme civile. Grâce aux postes de directeur de vol et de pilote démonstrateur, j’ai pu ajouter encore plus de types emblématiques à mon carnet de vol : Tipsy Nipper, SV4b, Fokker S-11, le biplan Stearman, Spitfire TMK9, DC-3 Dakota, le bombardier B-25 Mitchell et encore beaucoup plus. Quand même exceptionnel pour quelqu’un avec un côté nettement féminin, n’est-ce pas ? »

B-25 nose

Tournant marqué par un accident aérien

 « En 2001, j’ai eu un accident d’avion qui m’a presque coûté la vie. Alors que quatorze parachutistes débutant étaient encore à bord, l’un des moteurs du GAF Nomad (type connu par tout le monde grâce au feuilleton australien The Flying Doctors) a explosé en plein vol. Après que tous les passagers avaient quitté l’avion en flamme, j’ai atterri sans encombre l’appareil gravement endommagé sur une piste des chars à Leopoldsburg. Personne n’avait la moindre égratignure. Mais dans mon fort intérieur, quelque chose avait craqué. Je me suis rendue compte que j’aurais pu être morte sans jamais avoir eu l’occasion d’être moi-même. »

2000 GAF Nomad

Arrête cette comédie

« Pour moi, cela suffisait. Je cesserais de voler pour suivre le sentier où je me sentais bien. J’ai vendu tout mon matériel de vol, mes combinaisons et même mes livres. J’ai vendu ma maison à Leopoldsburg pour déménager à Hasselt. Dans l’anonymat de la ville où personne ne me connaissait, je créerais une nouvelle existence. Au début, je n’avais pas l’intention de prendre des hormones féminines ou de me faire transformer. Je ne voulais pas choisir entre homme et femme, mais réunir constamment mes côtés masculins et féminins. Plus je vivais le rôle de femme, plus cela paraissait naturel. J’ai continué à progresser lentement sur l’échelle de genre jusqu’à ce que je me sois rendue compte que je voudrais vivre définitivement comme femme. Pour mon épouse de l’époque, cela était un pont trop loin et elle a choisi de divorcer.

En 2003, j’ai commencé le processus de transition pour me faire opérer deux ans après. D’abord, j’ai été opérée au visage, l’aspect le plus important pour être acceptée comme femme par la société. Ensuite, j’ai subi une intervention de réassignation sexuelle, surtout pour perdre cette boutique masculine désagréable. En tout cas, sur le plan physique, j’avais réussi non seulement à ne plus longtemps être un homme en vêtements de femme, mais aussi à devenir la vraie Laurence que j’étais déjà depuis toujours.

Dans cette période, je suis allée pour la première fois comme Laurence à une réunion d’anciens collègues pilotes. En effet, j’y suis apparue dans mon deux-pièces parmi tous ces anciens collègues bien baraqués. Les réactions n’étaient pas si négatives que ça. Beaucoup d’entre eux n’étaient pas vraiment surpris. Ils savaient qu’autrefois, lors des fêtes, je préférais me trouver parmi les femmes sur la piste de danse que de déconner avec eux au comptoir. Ils n’ont jamais eu de problèmes avec cela, parce que je n’étais pas macho. Ils ne m’ont jamais vue comme une menace quand je dansais avec leurs épouses et avec raison. Je vais toujours aux réunions de mes anciens collègues. Et quand on demande qui est la première femme pilote de F-16 à l’armée belge, certains mettront en question la réponse Anne-Marie Jansen. » (rit) 

F16 in Zara

Dans le bon corps à la recherche du repos de l’esprit

« En vendant tous les objets faisant référence à l’aviation, j’ai cru pouvoir refouler ma première vie. Je ne voulais plus rien avoir à faire avec cela et j’y réussirais. L’aviation ne cadrait plus dans l’image de l’avenir de Laurence. Ma carrière dans l’aviation, je m’en libérerais en écrivant. Pendant six hivers, j’ai travaillé sur un livre sur la carrière de lui. Après 10 000 atterrissages à bord de 87 types d’avion très différents, dont 37 comme commandant de bord, j’avais en effet beaucoup à écrire.

C’est devenu un gros livre comptant pas moins de 735 pages, richement illustré de photos personnelles. J’étais convaincu que cela était la thérapie parfaite pour me libérer définitivement de ma vie antérieure. Ten Thousand Landings a paru en 2014 et est déjà épuisé depuis longtemps. »

 

bookcover

Une passion partagée avait enfin un effet curatrice

« En 2011, en visitant avec des copines un spectacle d’aéromodélisme au fameux site de Pampa Range, la passion des (modèles réduits d’) avions s’est enflammée. Je me suis rendue compte que je ne pouvais mener ma transition à bonne fin qu’en réunissant mon ancienne et ma nouvelle vie. J’ai acheté quelques kits et j’ai recommencé à construire, l’étape ultime vers la vraie guérison. La distance que j’ai prise par mon livre et l’espace que je lui ai donné à travers mon nouveau passe-temps, m’ont permis de donner à mon ego antérieur une place définitive dans ma nouvelle existence. »

Si l’on commence, il faut se donner à fond. On n’a qu’une seule chance.

Tout comme Laurence s’est donnée à fond pour devenir pilote dans sa vie antérieure, elle travaille maintenant chaque jour avec la même volonté à sa collection croissante de modèles réduits d’avions. Outre sa flotte de planeurs Sabena historiques, elle continue à construire des appareils spécifiques qu’elle a pilotés lors de la carrière de lui. « Certains modèles m’offrent aussi l’occasion d’arranger un vol avec les vrais exemplaires, » rayonne-t-elle de joie.

Chaque détail, si minutieux soit-il, doit être finalisé à la perfection. Dans le cockpit des appareils, on trouve toujours l’un de ces deux personnages : ou bien l’homme à la moustache portant une casquette rouge, ou bien la femme pilote Laurence portant un flight suit féminin cintré. Quand je m’étonne du niveau de détail élevé des personnages, Laurence rit : « En effet, j’ai déjà beaucoup d’expérience avec la chirurgie plastique. »

Sabena

A kiss landing

 « Même si ma vie a été un vol turbulent, je suis quand même contente de l’atterrissage réussi. J’étais souvent déprimée, je ne vais pas mentir. Je ne fais pas étalage de mon passé, mais si quelqu’un me demande quelque chose, je réponds franchement. J’ai enfin trouvé ma place. Vivre parmi mes modèles réduits d’avions, avec mes copains et copines, simplement me fondre dans la masse et pouvoir être moi-même. Il y a déjà dix-huit ans que je suis Laurence et je me rends compte que je vis maintenant les années les plus heureuses. »

Plus de photos d’un homme assez rébarbatif, mais d’une femme avec un sourire vraiment heureux. Surtout quand elle peut arranger de temps en temps un vol à bord d’un appareil intéressant.

 

Pour plus d’infos sur l’aéromodélisme de Laurence :

https://www.rcgroups.com/forums/member.php?u=430882

Cover Ten Thousand Landings

Haar boek, geschreven in het Engels, is volledig uitverkocht. We stellen het indrukwekkende werk wel gratis – online – ter beschikking voor de lezers van RateOne.

Nu gratis beschikbaar:

Auteur: CO

Foto’s: archief Laurence Adriaensens