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Sur RateOne Edition 11

Le trésor de la Sabena

Geoffrey Hansez

Deux chambres spacieuses forment l’habitat de Geoffrey Hansez, un descendant de la famille exploitant aujourd’hui le plus grand magasin de tissus de Belgique. Quand la Sabena s’est crashée il y a exactement 20 ans cette année, notre collectionneur avait tout juste 21 ans.

« La passion semblait prédestinée, » commence le Liégeois. « Que voulez-vous si l’on porte les mêmes initiales et presque le même nom que l’un des pionniers de l’aviation, Guy Hansez (1905-1978) qui, en 1934, à bord de son Havilland Fox Moth EE-ENC, a pour la première fois relié Anvers et le Congo par l’air. »

« La passion est née déjà très tôt, quand j’ai traîné vers ma chambre d’enfant une rangée de sièges depuis un Boeing 707 First Class, retiré de la circulation. Mes parents n’ont guère apprécié. » Depuis lors Geoffrey est à la recherche de tout ce qui a quelque chose à voir avec la Sabena.

Flotte Sabena

« Mes plus anciennes pièces ? Des documents et des photos qui datent de 1923, l’année où la Société Anonyme Belge d’Exploitation de la Navigation Aérienne a été constituée. » 

Particulièrement impressionnante est la flotte gigantesque de modèles réduits qui ont volé depuis les agences de voyage vers la collection de Geoffrey : des Caravelles élégantes, des DC-3 robustes, des Convairs… Entendons-nous bien qu’ici, il ne s’agit pas des maquettes connues en plastique que l’on trouve dans des boîtes de construction, mais des modèles faits à la main par des producteurs spécialisés, comme Westway Models de Londres. Ils sont tous présentés sur un pied en aluminium, le nez légèrement dirigé en haut. « Cependant, la crise actuelle liée à la Covid joue les trouble-fêtes.   Heureusement qu’il y a l’Internet. Que ferions-nous sans cette autoroute numérique ? C’est ainsi que j’ai trouvé une maquette d’un Boeing 707 à l’échelle 1/25 (1,8 mètres de long !) qui avait été exposée à l’Exposition universelle en 1958. Et que trouvez-vous de ce 747 ? » Notre hôte pousse le bouton pour allumer toutes les petites lampes. Les petits hublots éclairés, c’est le Jumbo qui traverse la nuit noire. En se promenant autour du modèle, on admire l’intérieur écorché où tous les sièges des différentes classes de voyage sont minutieusement construits à l’échelle.  « Pas mal de collectionneurs sont jaloux de mes maquettes du Concorde, aux couleurs de la Sabena. À la fin des années 60, la Sabena s’est mise sur la liste de candidats pour engager cet appareil supersonique, et aussitôt sont apparus dans les agences de voyage les modèles réduits aux couleurs de la Sabena. Avec trop de précipitation comme il est très vite apparu. À cause de la crise pétrolière et de l’annulation de la commande, ils ont discrètement disparus. J’ai pu en sauver quelques exemplaires. »

Schaalmodel Sabena

Pas de rivalité

Tout comme dans une boutique de modes, les blazers bleus y sont suspendus sur des cintres, en plusieurs rangées. Les galons d’or sur les manches se réfèrent à la fonction exercée par leurs anciens propriétaires : de steward à commandant de bord. D’un coin obscur, le collectionneur retire encore une autre pièce : « Le képi original du chief pilot réputé, Jo Van Acker. Je le protège contre la lumière, parce qu’il a déjà 70 ans. »

«  J’adore flâner dans les boutiques d’antiquités et de brocante. Je fais les découvertes les plus belles en Flandre où j’aime passer mon week-end. Et nous échangeons beaucoup. Ce qui est beau, c’est qu’il n’y a pas de rivalité parmi les collectionneurs Sabena. Il règne une ambiance amicale et nous complétons avec plaisir la collection des uns et des autres. Nous restons heureusement à l’écart de la commercialisation, sachant que sur eBay il faut débourser une forte somme pour les modèles d’agence.

Mais rien de tels que les contacts avec les familles des anciens Sabeniens. Récemment, j’ai passé des heures inoubliables avec le fils du commandant de bord Maurice Dans qui a ressuscité de nombreuses anecdotes de son père. »

Curiosités prestigieuses

Les vitrines et les tiroirs sont remplies d’une richesse de curiosités. Les avions de la Sabena étaient un thème bien connu sur les boîtes de couleurs métalliques. Tout est décoré par le S élégant par lequel la compagnie a représenté la patrie aux quatre coins du monde. Des services du temps où l’on dînait encore avec style et où la culture du jetable n’avait pas encore fait son entrée. Des ouvre-lettres, badges, porte-clés, cigarettes et cigares (il était encore autorisé de fumer à  bord !), rasoirs à main, boutons de manchette, oui même des montres suisses. La Sabena était une marque synonyme de qualité et de prestige, qui s’est introduite même jusqu’au foyer.  

La compagnie a lutté pour ce prestige. Les graphistes compétents de l’entreprise de publicité renommée C/Pub ont dessiné les créations les plus belles. Geoffrey en déroule quelques-unes : « Ma collection d’affiches du début des années 50 avec des textes arabes et russes. » Certaines sont très figuratives : l’Africain représenté comme une figure imposante avec au-dessus de sa tête le DC-4 qui met les Européens en sécurité en les rapatriant par vol vers le continent. D’autres posters publicitaires sont plutôt abstraits avec des nuances chaudes.

Sabena Maquette

Expositions

Il n’arrive que rarement que la collection sorte. Quelques chef-d’œuvre de la collection de Geoffrey ont été exposées à l’exposition sur la Sabena qui a eu lieu en 2017 à l’Atomium. La collection est entre de bonnes mains chez Geoffrey, aussi pour l’avenir. « La Sabena fait partie de ma vie quotidienne : notre famille utilise ainsi à table les couverts et les assiettes de la Sabena. Et mes enfants prennent plaisir à ranger leurs jouets dans les trolleys qu’auparavant les stewards roulaient dans le gangway. Ce bruit subtil de ces roulettes, chacun qui volait souvent s’en souvient. »

La passion ne se limite pas seulement à notre compagnie aérienne. « Coïncidence ou non, mais tout comme mon homonyme Guy Hansez, je suis aussi captivé par les automobiles et les autres beaux objets fabriqués dans le temps de nos grands-parents. Ce sont des symboles d’un pays qui n’existe plus. Quel dommage que de nos jours, nous semblons perdre le goût pour la beauté. »

Auteur: Cynrik De Decker

(photos : Nathalie Hansez)