ui entend le nom du Chevalier Liévin van Outryve d’Ydewalle, pense immanquablement à l’art sculptural. Des sculptures en acier inoxydable : des chevaux polis, des femmes élégantes dans le vent, mais surtout des oiseaux, parfois dépliés comme l’origami. Et non, pas par hasard des oiseaux. Voler, Liévin a cela dans le sang, le sang bleu, longtemps comme pilote, plus tard dans son art. Ses sculptures éveillent le rêve ancien de l’homme, le rêve de pouvoir voler un jour.
Tout commence, comme toujours, par un mer-veilleux rêve de jeunesse. «Des oiseaux volant dans tous les sens, cela m’a toujours fasciné», raconte Liévin. «L’aise et la grâce de leurs vols, la liberté de leur migration vers le sud… Je ne suis pas ornithologue, non. D’ailleurs, je me serais sûrement senti restreint dans ma cu-riosité de comprendre comment ces oiseaux conquièrent le ciel. C’est pourquoi, j’ai voulu apprendre moi-même à voler, à connaître ce sentiment de décoller, de planer, de décou-vrir.» C’est à un petit aérodrome à Knokke, près du Zwin, que Liévin a fait son baptême de l’air. Et, c’est en survolant la réserve naturelle proche, entouré du battement d’oiseaux à plumage multicolore, qu’il a désiré aller plus loin. Mais un brevet de pilote supérieur demande beaucoup d’heures de vol et voilà pourquoi il a commencé à voler le long de la côte belge avec de la publicité aérienne à bord d’un an-cien Tiger Moth, un biplan. Le pilote brave le temps et le vent dans un appareil ouvert sans radio de bord ni de freins. Les pièces tiennent ensemble au moyen de cordes et de fil de fer. Le truc crachote, le moteur pétarade, le train d’atterrissage arrière est une béquille façon-née… «Un vieil avion tout bringuebalant”, rit-il. «Pour démarrer l’hélice, il fallait cogner sur une boîte noire mystérieuse.»
Sa sculpture Ikaros marque l’entrée de l’Ikaros Business Park, tout près de l’aéroport de Zaventem.
Une fois ses études d’agronomie terminées, Liévin entame son service militaire à l’école de pilotage à Gossoncourt. Il s’y entraîne sur SV4, un biplan, «ce qui est essentiel pour exer-cer la seule chose que l’homme ne peut pas faire spontanément : voler», pose Liévin. Au Congo, à la base de Kamina, il reçoit une formation plus poussée sur T6 Harvard. «À bord de cet appareil, j’ai même gagné un tro-phée lors d’un concours de voltige aérienne», rit-il avec fierté. «Un piston dans lequel mon nom était gravé.» Retourné en Belgique, Liévin vole d’abord sur Meteor 7 et 8 à Brustem. Ce dernier appareil disposait d’un siège éjectable «qui était telle-ment puissant que quiconque l’a jamais utili-sé, s’en souviendra toute sa vie». Plus tard, Liévin vole à Kleine-Brogel sur F-84F Thunderstreak. Ensuite, pendant plu-sieurs années à Florennes sur le même type. C’est le début de sa carrière de pilote de chas-seur-bombardier à travers toute l’Europe, de la Norvège à la Turquie.
En 1966, Liévin échange la Force aérienne belge contre l’aviation civile, plus particulière-ment Air Congo. Il pilote des types plus légers comme le Baron B55 ou le D18, aussi dénom-més Petits Porteurs. «En réalité, j’étais un bush pilot», dit Liévin. «Je volais d’un village à l’autre, d’une aventure à l’autre, presque comme un rite.» De 1966 à 1976, Liévin est commandant de bord sur des appareils toujours plus grands, comme le Douglas DC-3 et DC-4, le Fokker 27, la Caravelle, le DC-8 et le Super DC-8 pour finir même sur un Boeing 737. Ce ne sont pas les appareils en soi qui l’ont impressionnés, mais bien les vols plus périlleux, «comme la fois où un de mes moteurs de mon DC-8 a pris feu au-dessus du désert.» Quand, en 1971, le Congo devient la Répu-blique du Zaïre, Air Congo change aussi son nom en Air Zaïre. Plus d’une fois, Liévin assu-rera la fonction de pilote du président Mobu-tu.
Vus depuis le ciel, les paysages congolais sont fascinants et chaque vol s’accompagne d’une histoire inoubliable. Mais toutes ces heures de vol, des milliers, deviennent difficiles. Et Liévin se pose des questions existentielles… Est-il prêt pour un changement de décor ? Ou, comme il philosophe lui-même : «Donner une autre dimension aux années qui filent comme des comètes» ?
À travers les années, Liévin a créé un lien étroit avec les Manouches. Ces ferrailleurs er-rants apparentés aux Roms lui apprennent à travailler les différents métaux. C’est surtout l’acier inoxydable qui acquiert sa préférence. Peu à peu, il réussit à faire ce qu’il veut de ce métal froid. «C’est une matière peu utilisée dans l’art figuratif,» explique-t-il avec passion, «mais dans ma tête, je le modèle en n’im-porte quoi. L’acier inoxydable est docile, mais demande quand même de l’énergie pour le braver.» L’acier inoxydable brut est poli à la main pour qu’il réfléchisse comme un miroir. «Réfléchir,» explique Liévin, «dans les deux sens du verbe.» A ces rencontres avec les Manouches il garde une passion pour la prestidigidation. Depuis 1982, Liévin expose ses œuvres, aussi en France et aux Pays-Bas, et oui même en Australie ! Bien que le commerce ne soit pas tel-lement son truc. «Je veux être artiste, à l’ombre. Raconter une histoire, inspirée par un lien entre l’esprit et les mains.» Dans ses sculptures, Liévin oppose l’aspect figuratif au surréalisme, à travers les temps, de l’Antiquité grecque au futurisme. Ses sculp-tures flamboyantes, et surtout ses figures d’oiseaux, semblent voler à l’envers. Son Ikaros, marquant l’entrée de l’Ikaros Business Park à Zaventem, reflète ainsi toute sa vie. Bien que Liévin van Outryve d’Ydewalle, modeste comme il est, ne soit pas l’homme à voler avec audace trop près du soleil. «Dans mon jeune âge,» rêvasse cet octogé-naire, «la virtuosité des oiseaux me faisait rêver de pouvoir voler un jour comme eux. À travers les années, comme dans un univers parallèle, j’ai appris à devenir leur pareil à l’aide de mes mains. Une ligne droite est une ligne dont les bouts se rencontrent… La boucle est bouclée.»